Archaïsme graphique au XVIIIe siècle (partie 2)

Le 23 févr. 2023 par Frédéric Thébault

Chaque mois, Béatrice Beaucourt, paléographe professionnelle, vous propose une courte leçon destinée à vous familiariser avec les écritures anciennes.

La lecture des actes d’Ancien Régime est, comme je le mentionnais dans mes précédentes notes, un exercice exigeant à de multiples niveaux, et le début du XVIIIe siècle n’en constitue pas une exception.

En effet, si traditionnellementles actes écrits durant ce siècle se lisent de manière intuitive, il n’est pasrare que les actes datés du premier tiers du XVIIIe siècleprésentent encore des mots formés de lettres à la graphie archaïque dont lalecture nécessite, sinon la maîtrise, du moins une bonne connaissance de lapaléographie moderne.

Car si la plupart des graphiesanciennes sont tombées en désuétude au début du XVIIIe siècle,certains scribes, probablement les plus « anciens », utilisaientencore des graphies d’un autre siècle qu’ils maniaient avec virtuosité.

Ce sont les raisons pour lesquellesj’attire dans cette série de notes votre attention sur ces pratiques.

Je vous propose aujourd’hui un nouvelexemple afin illustrer mon propos.

Voici le second exemple extrait d’unacte notarié datant de 1705 :

Nous voici face à une écriture très peu cursive dont ladifficulté de lecture réside dans la présence d’anciennes graphies habituellementtombées en désuétude au cours du XVIIe siècle. Graphies dont voiciles principales caractéristiques :

Les lettres habituellement tombées en désuétude au cours du XVIIe siècle :

Le C gothique :

Cette graphie déformée et réduite à la forme d’un jambage est présente dans les mots « saincte » : (ligne 4) et « sainct » (ligne 5)


Le E à jambage et aigrette :

Les deux signes constitutifs de cette lettre, le jambage et l’aigrette, apparaissent :

    • soit, à de rares occasions, de manière distincte comme dans la préposition « de » (ligne 7).
    • soit reliés de différentes manières par un trait de plume (ligature) qui modifie l’allure générale de la lettre donnant naissance à trois graphies de la lettre « e ».
  • Première graphie modifiée de la lettre « e » que l’on retrouve dans le patronyme « Bulte » : (ligne 6).
    Vous pouvez retrouver ce modèle de déformation de la lettre « e » dans mon manuel de paléographie moderne à la page 23 :« le E prenant la forme d’un « v » en final de mot ».
  • Deuxième graphie de la lettre « e » que l’on retrouve en deuxième et quatrième position du mot « demeurant » : (ligne 4).
    Vous pouvez retrouver ce modèle de déformation de la lettre « e » dans mon manuel de paléographie moderne à la page 23 : « le E prenant la forme d’un « u » dont le second jambage serait plus haut que le premier».
  • Troisième graphie de la lettre « e » présente dans les mots « charge de » : (ligne 9).
    Vous pouvez retrouver ce modèle de déformation de la lettre « e » dans mon manuel de paléographie moderne toujours à la page 23 « le E prenant la forme d’un o ». Cette déformation est généralement présente en milieu de mot mais se retrouve, ici, également en final de mot.


Le S à jambage et double aigrette :

Les deux signes constitutifs de cette lettre, le jambage et l’aigrette, apparaissent ici :

    • soit de manière distincte comme dans le prénom « Louis » : (ligne 6)
    • soit reliés par un trait de plume (ligature) qui modifie l’allure générale de la lettre donnant naissance à une graphie particulière de la lettre « s » que l’on retrouve dans les mots « des galères » : (ligne 10)
      Vous pouvez retrouver ce modèle de déformation de la lettre « s » dans mon manuel de paléographie moderne à la page 25 : « si l’on croit reconnaître deux jambages en fin de mot, c’est que le scribe a formé son jambage et sa double aigrette d’un même trait de plume ».


Le R roulé :

Présent en milieu comme en fin de mot dans les mots « aujourd’hui » et « cour » : (ligne 1), (ligne 3)

Cette lettre est également utilisée en ligature avec :

  • la lettre « e » comme dans le mot « conseillers » (ligne 2) et le mot « deniers» : (ligne 8).
  • la lettre « t » comme dans le mot abrégé « Chatelet »